Pourquoi l'assassinat de l'ex-président du Yémen menace toute la région
Les Houthis ont démontré qu'ils ne veulent pas la paix
08/12/2017 07:00 CET
Majid RafizadehPolitologue, chercheur à Harvard, expert en géopolitique du Moyen-Orient
KHALED ABDULLAH / REUTERS
Pourquoi l'assassinat de l'ex-président du Yémen menace toute la région.
L'assassinat de l'ancien président yéménite Ali Abdullah Saleh, deux jours après qu'il avait appelé à la résolution du conflit, montre que les rebelles Houthis n'accepteront jamais la paix.
Samedi 2 novembre, l'heure était au soulagement dans le monde Arabe. On pensait entrevoir la fin prochaine de 3 ans de guerre au Yémen, un conflit qui paraissait jusqu'à lors insoluble.
L'ex-président, Ali Abdullah Saleh, avait courageusement décidé de calmer les hostilités. Il avait pris ses distances avec ses anciens alliés Houthis, les désignant publiquement comme une milice cherchant le chaos.
Les Houthis firent aussitôt de lui l'homme à abattre. Et seulement deux jours plus tard, ils détruisirent sa maison à Sanaa, puis l'exécutèrent avant de faire circuler une vidéo de son cadavre mutilé sur les réseaux sociaux.En choisissant d'assassiner Saleh plutôt que de le capturer vivant, les Houthis ont commis un crime de guerre impardonnable.
Mais plus fondamentalement, ils ont envoyé un message clair au peuple yéménite, faisant passer en 48 heures la capitale de l'espoir à la catastrophe. Les Houthis ne négocieront pas. Ils répondront au dialogue avec leurs munitions.
La mort de Saleh et la fracture entre ses partisans et les Houthis, marque un tournant dans la guerre au Yémen. Si la communauté internationale ne s'empare pas du conflit plus sérieusement, l'assassinat de Saleh risque d'entrainer une escalade de la violence, infligeant toujours plus de souffrance à la population civile, dont environ un tiers est déjà menacé par la famine et le choléra.
Les Houthis opèrent désormais au grand jour. Ils ne peuvent plus dissimuler la violence de leurs attaques. Ils sont passés à l'offensive dès le 3 décembre, prétendant avoir lancé un missile sur une centrale nucléaire en construction à Abu Dhabi. Heureusement le missile n'a pas atteint sa cible – l'armée des Emirats Arabes Unis l'aurait de toute façon intercepté – mais cela en dit long sur la stratégie offensive et la détermination des Houthis.
Ces deux épisodes rappellent au monde plusieurs éléments importants.
D'abord, contrairement aux descriptions que l'on lit trop souvent dans certains journaux, les Houthis ne sont pas d'admirables combattants de la paix, cherchant à libérer le Yémen. Ils ont montré à plusieurs reprises qu'ils sont des miliciens sans foi ni loi et n'accepteront aucune paix négociée. Ils ne se rendront pas, et n'ont que faire du danger que leur attitude représente pour la population civile.
Ensuite, les Houthis peuvent compter sur le soutien de leur allié iranien. L'Iran ne laissera par leurs munitions s'épuiser. La République Islamique continue d'acheminer illégalement des armes et du matériel militaire au Yémen. Reuters rapportait en début d'année déjà que les Gardiens de la Révolution sont le premier soutien des Houthis. Ils financent et entretiennent d'actifs réseaux dans le but de fournir les Houthis en armement.
Plus largement, le conflit au Yémen est révélateur de la stratégie de l'Iran consistant à entrainer et armer des groupes rebelles à travers le Moyen Orient, pour étendre son influence. Cette tactique d'interférence dans des 'guerres proxy' est reconnaissable à quatre facteurs: déstabilisation du pouvoir en place, incitation et participation indirecte au conflit, assassinats politiques, et rejet de toute solution pouvant être perçue comme étant soutenue par l'Occident ou voulue par les ennemis Sunnites.
Plus que l'objectif de déstabiliser les puissances rivales du Golfe, dont l'Iran combat l'existence même, la guerre au Yémen est pour l'Iran une étape dans son projet d'unification du monde musulman. Cette croisade idéologique vers un gouvernement islamiste par-delà les frontières établies ne s'embarrasse pas de pacifier des conflits meurtriers.
Elle est en fait une mission explicitée dans la Constitution iranienne. Son préambule dispose que le texte "prépare la voie de la continuité de cette révolution à l'intérieur et à l'extérieur du pays". Il est aussi écrit dans la Constitution que l'armée iranienne et les Gardiens de la Révolution "seront chargés, non seulement de la sauvegarde et de la protection des frontières, mais également du fardeau de la mission idéologique, c'est-à-dire le Djihad dans la voie de Dieu et la lutte dans la voie de l'expansion de la souveraineté de la loi de Dieu dans le monde".
Il s'agit bien d'une idéologie expansionniste dangereuse, que nous devons collectivement prendre au sérieux, car la tragédie en cours au Yémen n'est certainement pas la dernière.
Les Houthis ont démontré qu'ils ne veulent pas la paix
08/12/2017 07:00 CET
Majid RafizadehPolitologue, chercheur à Harvard, expert en géopolitique du Moyen-Orient
KHALED ABDULLAH / REUTERS
Pourquoi l'assassinat de l'ex-président du Yémen menace toute la région.
L'assassinat de l'ancien président yéménite Ali Abdullah Saleh, deux jours après qu'il avait appelé à la résolution du conflit, montre que les rebelles Houthis n'accepteront jamais la paix.
Samedi 2 novembre, l'heure était au soulagement dans le monde Arabe. On pensait entrevoir la fin prochaine de 3 ans de guerre au Yémen, un conflit qui paraissait jusqu'à lors insoluble.
L'ex-président, Ali Abdullah Saleh, avait courageusement décidé de calmer les hostilités. Il avait pris ses distances avec ses anciens alliés Houthis, les désignant publiquement comme une milice cherchant le chaos.
Les Houthis firent aussitôt de lui l'homme à abattre. Et seulement deux jours plus tard, ils détruisirent sa maison à Sanaa, puis l'exécutèrent avant de faire circuler une vidéo de son cadavre mutilé sur les réseaux sociaux.En choisissant d'assassiner Saleh plutôt que de le capturer vivant, les Houthis ont commis un crime de guerre impardonnable.
Mais plus fondamentalement, ils ont envoyé un message clair au peuple yéménite, faisant passer en 48 heures la capitale de l'espoir à la catastrophe. Les Houthis ne négocieront pas. Ils répondront au dialogue avec leurs munitions.
La mort de Saleh et la fracture entre ses partisans et les Houthis, marque un tournant dans la guerre au Yémen. Si la communauté internationale ne s'empare pas du conflit plus sérieusement, l'assassinat de Saleh risque d'entrainer une escalade de la violence, infligeant toujours plus de souffrance à la population civile, dont environ un tiers est déjà menacé par la famine et le choléra.
Les Houthis opèrent désormais au grand jour. Ils ne peuvent plus dissimuler la violence de leurs attaques. Ils sont passés à l'offensive dès le 3 décembre, prétendant avoir lancé un missile sur une centrale nucléaire en construction à Abu Dhabi. Heureusement le missile n'a pas atteint sa cible – l'armée des Emirats Arabes Unis l'aurait de toute façon intercepté – mais cela en dit long sur la stratégie offensive et la détermination des Houthis.
Ces deux épisodes rappellent au monde plusieurs éléments importants.
D'abord, contrairement aux descriptions que l'on lit trop souvent dans certains journaux, les Houthis ne sont pas d'admirables combattants de la paix, cherchant à libérer le Yémen. Ils ont montré à plusieurs reprises qu'ils sont des miliciens sans foi ni loi et n'accepteront aucune paix négociée. Ils ne se rendront pas, et n'ont que faire du danger que leur attitude représente pour la population civile.
Ensuite, les Houthis peuvent compter sur le soutien de leur allié iranien. L'Iran ne laissera par leurs munitions s'épuiser. La République Islamique continue d'acheminer illégalement des armes et du matériel militaire au Yémen. Reuters rapportait en début d'année déjà que les Gardiens de la Révolution sont le premier soutien des Houthis. Ils financent et entretiennent d'actifs réseaux dans le but de fournir les Houthis en armement.
Plus largement, le conflit au Yémen est révélateur de la stratégie de l'Iran consistant à entrainer et armer des groupes rebelles à travers le Moyen Orient, pour étendre son influence. Cette tactique d'interférence dans des 'guerres proxy' est reconnaissable à quatre facteurs: déstabilisation du pouvoir en place, incitation et participation indirecte au conflit, assassinats politiques, et rejet de toute solution pouvant être perçue comme étant soutenue par l'Occident ou voulue par les ennemis Sunnites.
Plus que l'objectif de déstabiliser les puissances rivales du Golfe, dont l'Iran combat l'existence même, la guerre au Yémen est pour l'Iran une étape dans son projet d'unification du monde musulman. Cette croisade idéologique vers un gouvernement islamiste par-delà les frontières établies ne s'embarrasse pas de pacifier des conflits meurtriers.
Elle est en fait une mission explicitée dans la Constitution iranienne. Son préambule dispose que le texte "prépare la voie de la continuité de cette révolution à l'intérieur et à l'extérieur du pays". Il est aussi écrit dans la Constitution que l'armée iranienne et les Gardiens de la Révolution "seront chargés, non seulement de la sauvegarde et de la protection des frontières, mais également du fardeau de la mission idéologique, c'est-à-dire le Djihad dans la voie de Dieu et la lutte dans la voie de l'expansion de la souveraineté de la loi de Dieu dans le monde".
Il s'agit bien d'une idéologie expansionniste dangereuse, que nous devons collectivement prendre au sérieux, car la tragédie en cours au Yémen n'est certainement pas la dernière.
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